Bienvenue sur ce blog dédié à la souffrance au travail, créé par Gérard Delmas. N'hésitez pas à laisser ou proposer vos commentaires, réactions ou réflexions.

28 avril 2011

Souffrance au travail. Le coaching dernier rempart avant le saut

        Lorsqu’on ne peut plus faire plaisir à son manager, que l’arbitraire, l’inutilité l’incompétence sont manifestes et que le silence est de mise, la souffrance s’installe. Le dernier drame chez France Telecom vient très récemment le confirmer. On peut aussi en tant que manager ressentir ce porte-à-faux, cette insécurité qui rend le poste difficile à assumer. Il est alors tentant de répondre à l’offre institutionnelle de coaching qui est quelquefois proposée pour surmonter ces difficultés.
Avant d’en arriver à adopter le dispositif de coaching il faut sans doute préciser ce que l’on rencontre en fait et rappeler qu’il s’agit d’une entreprise qui n’est absolument pas technique et qui mobilise des éléments de l’architecture psychique constituée d’agencements qui, à cause /grâce à l’opposition des forces, la maintiennent l’édifice en état d’équilibre (par la dynamique des composantes psychiques Moi Surmoi ça).
Si on se réfère à la théorie des systèmes, on voit que cet équilibre psychique est précisément la compensation permanente de micros déséquilibres Un outillage cognitif et comportemental qui d’une certaine manière « redressent la barre » ou, pour continuer sur la métaphore nautique, mettent en route « le pilote automatique » psychique. Une question naïve surgit brusquement : pourquoi faut-il « maintenir le cap » et qu’est ce qui nous en ferait dévier en risquant d’aller vers des contrées inconnues voire supposées être dangereuses ? Quand on s’éloigne de la trajectoire c’est le moment de changer de cap pour continuer simplement à avancer. C’est donc bien là qu’un changement s’opère.
L’exemple de l’équilibriste est encore plus parlant. C’est lorsqu’il risque de tomber qu’il compense ce danger par une inclinaison contraire à l’aide de son balancier. C’est en opérant ce changement du sens de l’équilibre qu’il peut continuer sa progression.
Pour ce qui est des systèmes (et le système psychique en fait partie) il faut répéter que leur dynamique vise l’homéostasie laquelle est obtenue grâce à une série de séquences ou successivement le système est symétrique puis complémentaire avec son environnement. Il en va de même pour la communication interpersonnelle usuelle.
Une fois posée cette mécanique, la clinique permet d’observer, que ce processus compensatoire fait de forces antagonistes est souvent efficace. Par exemple il peut exister un comportement obsessionnel fait de rituels plus ou moins handicapants et qui viennent compenser une angoisse liée à une culpabilité névrotique. Tant que ce comportement obsessionnel est efficace pour le sujet (c'est-à-dire le maintien en état d’équilibre) le processus peut durer. Ainsi le règlement des conflits interpersonnels peut s’effectuer à partir du moment ou les protagonistes réalisent le mode de communication pathogène qu’ils emploient
En clinique le   mécanisme peut commencer à poser problème et à se « gripper » lorsque la compensation ne parvient plus à juguler l’angoisse et que la plainte émerge ou que le corps social réagit en considérant que le sujet en état de souffrance trop importante.
A partir de ce moment et à condition que la conscience de soi ne soit pas trop altérée, il peut y avoir, comme on dit, l’émergence d’une demande (de réparation de cet état de souffrance).
Cette demande, outre la réduction de la souffrance vise le dépassement ou le contournement de l’impasse réactionnelle dans lequel le sujet se trouve placé, un changement en quelque sorte. La demande implicite c’est bien celle d’une demande d’aide à surmonter les difficultés, les manques et les craintes c'est-à-dire une demande de changement d’état. Pas toujours très claire, cette plainte peut être aussi un refuge dans lequel on se protège d'un changement risqué ( François Roustang)
  On voit qu’elle n’est pas anodine puisque le sujet convient implicitement qu’il ne peut plus « en rester là », qu’il ne peut en supporter plus et - mais ça il n’en verra les modifications que bien plus tard - qu’un ré agencement est souhaité en passant par une modification des points de vue, des étayages conceptuels et des projections.
La démarche qui consiste confusément à examiner, même inconsciemment, l’état des lieux,  est une  démarche thérapeutique en ce sens qu’elle va , à l’aide d’un tiers, interroger le système de causalité du sujet et modifier les angles d’attaques et les perspectives et lui permettre au mieux, en identifiant les causes de dysfonctionnement, de passer à des modes de compensations supérieurs et moins invalidants car plus conscients et finalement plus économiques du point de vue de la dépense d’énergie psychique.
Là où la démarche de coaching pose problème c’est qu’elle s’inscrit dans le contexte d’une entreprise qui peut être amenée à proposer ce service et à le financer pour un sujet qui se trouve instrumentalisé et dont on vise l’adaptation toujours plus affirmée.
Autrement dit, dans une entreprise le sujet est convié à s’effacer dans un processus et il va devenir objet consentant d’une dépersonnalisation au bénéfice d’un remodelage subjectif entrepreneurial    
La demande de coaching, avec la réserve importante qu’elle s’inscrit globalement dans une démarche de performance (rentabilité recherchée, abandon des réactions affectives perturbant le fonctionnement organisationnel) ce que n’est pas la prise en charge classique, est bien quand même une demande thérapeutique dans la mesure ou l’individu, face à une situation professionnelle plus ou moins perturbante, va demander qu’on l’aide à y faire face.
Le coach est bien un genre de thérapeute même s’il s’en défend.  Il sent qu’il aborde nécessairement par la bande des problématiques personnelles à travers le professionnel et pour ne pas jouer au thérapeute sauvage il convoque par exemple les références junguiennes (retrouver la totalité de l’être en y incluant l’âme) qui agissent comme le filet du trapéziste, juste au cas où …
Ces précautions sont inutiles car si on parvient à s’extraire de la méthodologie du coaching et de son mode d’administration, il reste que les RV de coaching sont issus d’une demande sous-tendue par une problématique personnelle ou une décompensation et qu’à chaque fois qu’une demande apparait dans le champ relationnel elle conduit nécessairement à des réaménagements qui s’avèrent être thérapeutiques. Ces réaménagements provoquent nécessairement des choix et des renoncements affectifs.
On comprend aisément que les coachs se défendent d’être des thérapeutes y compris d’un salarié dans une problématique de travail. On comprend aussi que pour s’en prémunir ils mettent en place des gardes fous dans une dénégation prudente de ce rôle.
Il faut dire que l’exercice n’est pas aisé et que faute d’avoir une réflexion spécifique il est probable qu’on va, par prudence, s’ingénier à distiller le message de modération. Autrement dit, en érigeant a priori les barrières d’un contre transfert de façon à se protéger d’un transfert redouté.
Tout se passe comme si on proposait un dispositif d’écoute et d’aide en signifiant au sujet qu’il s’en tienne à un contrat tacite : « il ne s’agira jamais de vous et de moi mais de vous en situation de travail ».
Ce n’est pas de l’aide, ce n’est pas du soutien mais c’est bien les moyens d’indiquer à l’autre les pistes lui permettant de découvrir ce qui ne va pas chez lui et dans sa manière d’être au travail. Tant pis s’il parle de son histoire personnelle, on le dirigera dans un sens plus productif en faisant mine d’oublier la demande purement psychologique.
Encore une fois qu’on le veuille ou non qu’on l’accompagne ou non la demande est thérapeutique. Là ou se pose un problème et ou la démarche peut s’avérer frustrante ou inachevée c’est dans le fait que  les rencontres sont contractuelles et donc limitées dans le temps ; à la différence d’une psychothérapie ou le patient choisi de mettre un terme à son accompagnement à l’issue de ce qu’il considère comme un but atteint.

C’est pourquoi, il semble qu’on ne communique pas dans ce domaine (comme dans bien d’autres) pour échanger de informations y compris sur soi mais bien pour que le sujet, dans le cadre d’une élaboration personnelle, modifie ses émotions.
En quelques années on est passé de la compréhension collective des phénomènes psychologiques (la dynamique de groupe) pour que les retombées en termes d’activité professionnelle ne soient pas perturbées par les affects spontanés, à la responsabilisation de l’individu (par le travail sur soi) en vue d’une adaptation plus sereine à son milieu prof. Le vécu d’une dynamique de groupe permettait un travail d’éclaircissement de ses relations à autrui. Le coaching permet de moduler ses affects pour une situation professionnelle artificielle mais performante sur le plan relationnel.
Bien sûr tout cela devrait être vérifié par une analyse critique des pratiques
Sur le rôle du coaching dans l’économie libérale il a des choses à dire.
Toute l’activité de l’individu est conçue dans ce cadre comme un processus de valorisation de soi dans toutes les activités privées et professionnelles (B. Aubrey « l’entreprise de soi » : travailler, apprendre, entretenir des relations, assurer une bonne communication familiale, améliorer sa qualité de vie ne peuvent être réalisés qu’en assumant des responsabilités et en développant des stratégies) . Cette nouvelle figure de l’homme se rapporte à des techniques qui visent « le développement auto géré de l’entreprise de soi »( la nouvelle raison du monde Dardot Laval) et concerne tout le monde quel que soit l’âge. L’entreprise néolibérale de soi amalgame la réussite dans la carrière et la réussite de la vie personnelle. Le management actuel contrôle les sujets à l’aide d’évaluations des performances , de la personnalité, des façons d’être, des postures voire des motivations ou freins inconscients.
La question d’une meilleure maitrise de l’environnement s’oriente vers un meilleure contrôle de soi, de ses émotions, de son stress, des subordonnés, des managers ou du public et ce par des techniques (PNL, AT, coaching, formations à la maitrise de soi, à la gestion du stress, etc). Ces techniques visent à accroitre l’efficacité de la relation avec autrui dans un cadre plus général d’une « conduite de soi et des autres » Il reste qu’en toile de fond il y a une demande de changement de soi, une représentation plus ou moins brutale des freins psychologiques et des représentations de soi qui dès lors qu’ils sont évoqués rentre dans le cadre d’un changement à caractère thérapeutique.
En résumé l’entraineur sportif enseigne les postures efficaces et performantes et le coach aide à la résolution des freins psychiques permettant une meilleure performance managériale ou d’adaptation au poste. On est fondé à penser que les deux font exactement le même travail mais n’entraînent pas les mêmes muscles !

26 avril 2011

Souffrance au travail. Faire plaisir à son manager !

           On l'a déjà mentionné, le manager compétent qui facilite le travail de ses collaborateurs, qui fédère les savoirs, qui favorise le travail collectif au détriment de la compétition individuelle   est une espèce  en voie de disparition. Les salariés doivent donc s’accommoder de cette réalité et bien souvent donner raisons à l'absurdité et colmater les brèches ouvertes par  les coups de boutoir de l'incompétence qui tels le ressac et avec la même régularité et la même obstination aveugle, finissent par miner les individus les plus solides.
Ce contexte est favorable à la recherche d'un minimum de sécurité. Alors en dépit de toute logique de toute image positive de soi, on va abandonner notre spécificité, notre légitimité et se plier aux desiderata pour ne pas encourir les sanctions dont celle omniprésente et souvent rappelée du licenciement. On va s'attirer les bonnes grâces du manager et en premier lieu en lui donnant raison et en n'exprimant pas son désaccord ( face aux décisions ineptes ou arbitraires voire plus haut...)
Ceci constitue un plan de sauvegarde immédiat qui pour être efficace doit être constamment répété. Plus profondément l'individu est convié à rejouer une conduite archaïque dont le sens social lui échappait alors , celle de l'apprentissage de la propreté chez l'enfant. Il s'agissait bien alors de faire plaisir à ses parents ( ou d'y renoncer) et ce faisant rechercher l’acquiescement qui était synonyme de "bien" et "d'amour".
Lorsque l'adulte est conscient de "faire plaisir à son manager" et non pas de produire avec lui du sens,  sait-il qu'il qu'en rejouant cette scène il adopte un comportement hautement régressif . Il se met symboliquement "sur le pot" en espérant en retour l'amour puisque la reconnaissance professionnelle sera forcement absente.Le message implicite sera donc bien " Fais de la merde pour je puisse te montrer que tu me fais plaisir".
Après cela on s'étonnera d'être déprimé et sali.

22 avril 2011

Souffrance au travail. Les entreprises ne se mobilisent pas contre le stress

 Le titre du  " quotidien du médecin" du 19/04/11



indique que l'attention portée aux effets du travail sur la santé est loin d'avoir été pris en compte dans toute son ampleur malgré les rodomontades offusquées des dirigeants et des politiques.
Comme rappelé il y a  quelque temps (02/04/11) des procédures, toutes plus vaines les unes que les autres, présentées comme des avancées sociales ont été proposé aux salariés à grand renfort de communication interne.
Ce type de dispositif improbable prend des formes variées. On ne reviendra pas sur  les divers questionnaires concernant l'état d'esprit au travail , aussitôt publiés aussitôt enterrés, ni sur les formations exotiques de gestion du stress ( respirez, positivez les échecs, et le paradoxal "relaxez vous au bureau" - on ira raconter ça à l'opérateur sur les chaînes de montage automobiles ! - , ni encore sur les interventions orthopédiques sur fond de discours de prise en charge thérapeutique  des coachs et autres psychologues ( vous vous sentez mal , je vais vous accompagner vers du moins mal ... il n'est toutefois pas envisageable de rayonner de bonheur, il faut être réaliste)  dont l’honnêteté n'est pas douteuse mais qui se font abuser par des organisations naïves ou cyniques ...à moins qu'ils soient eux mêmes naïfs ou cyniques.
Sans aller chercher bien loin on sait que  l'entreprise s'est transformée en un marché interne : on facture des services, on calcule des prix de journées d'intervention et obligatoirement la concurrence et la compétition s'installe avec son corolaire : la défiance de l'autre pour une course à la promotion.
Les individus font partie de ce marché . Il entrent en concurrence avec les anciens collègues développent des stratégies de conquête et pour ce faire , les comportements les plus efficaces sont ceux visant à la dévalorisation et disqualification de l'autre.  Car force est de constater qu'a moins d'être lourdement handicapé pour comprendre, le pilotage d'actions collectives n'est pas un combat mais une mise en commun de savoir et savoir faire sous l'égide d'un leader reconnu.
En effet on oublie que le hiérarchique par sa technicité, sa connaissance de l'organisation, son expérience personnelle n'est en place que  pour faciliter le travail des collaborateurs. De la même façon, les circuits d'information ou de production sont également là pour éviter que l'opérateur ne les découvre à chaque moment du processus de travail.
Au lieu de cela des catégories "managériales" sont apparues pour remplir des fonctions de contrôle individuel et d'évaluation qui n'ont d'autres but que d'objectiver des économies et de produire une image de gestion saine, précautionneuse et responsable. Le fin du fin est sans doute l'interprétation qui a été faite de la GRH (gestion des ressources humaines) encore un outil managérial qui n'a d'autres utilité que de réduire le coup du travail et d'augmenter le portefeuille de compétences c'est à dire d'élargir les tâches sans pour autant les enrichir ni les rémunérer cela va se soi !
Ajoutons à cela que l'opérateur disposant d'une haute technicité est son propre contrôleur, se trouve  évalué par moins compétent que lui avec les conséquences en terme d’immobilité professionnelle. On va finalement promouvoir significativement les acteurs les plus incompétents , les moins voyants et les plus "serviables" dont le travail va consister à maintenir une pression inutile pour des objectifs opaques. Un proverbe brésilien en vogue dans les grandes structures peut se traduire par "Pour un avenir sans chemin il n'y a pas de vents favorables"

12 avril 2011

Souffrance au travail. Que fait le management quand on a besoin de lui ?


       Les méthodes entrepreneuriales les plus sauvages viennent à nouveau de se distinguer lors des récents événements chez Renault. Sans entrer dans les détails, ce que l’on on apprend au passage a eu de quoi surprendre les actionnaires. Entre l’ancien espion devenu chef de la sécurité puis incarcéré pour escroquerie, les cadres dirigeants accusés d’espionnage industriel puis innocentés, le vice président, fusible  démissionnaire  aussitôt nommé à un  autre poste dans le groupe, Les salariés on eu matière à s’inquiéter si toutefois ils se faisaient encore des illusions sur la haute tenue morale de leurs dirigeants.        
       Heureusement on a essayé le plus rapidement possible de colmater les brèches avant que le bâtiment ne prenne l’eau et ne s’abîme dans les bas fonds de la bourse !
      Au nombre des méthodes entrepreneuriales figure le contrôle de soi même et de son propre travail.  Ce rôle antérieurement dévolu à la hiérarchie à été transféré sur les individus eux mêmes et augmente le stock de compétences du salarié. En effet le tassement des lignes hiérarchiques à conduit à déléguer le contrôle du travail à l’acteur.
       Ainsi lorsque des opérateurs sur machine se voient attribuer une nouvelle tâche comme celle de diagnostiquer les pannes, ils agissent de fait sur le processus de travail en jouant un rôle décisif dans le continuum productif. En éliminant les temps morts (pour la productivité) l’opérateur devient alors contrôleur et facilitateur de son propre travail.
       Mais que fait le management. A cet égard on peut voir que les organisations fortes de cette « découverte » initiée par le tournant gestionnaire de la fin des années 70, utilisent deux concepts issus du modèle économique néo libéral : la gestion et le management. A cet égard il faut signaler que les traducteurs automatiques traduisent pour plus de confusion encore le mot « management » par « gestion » ! Pour l’ensemble des approches du terme management on se référera à l’article :

      Quoiqu’il en soit, le gouvernement de soi et l’auto contrôle coexistent avec le background bureaucratique de l’organisation et particulièrement dans les services public notamment pour ceux qui ont voulu se doter d’un arsenal gestionnaire, outil privilégié du libéralisme. Le travail devient alors un processus paradoxal pathogène. Il convient d’être autonome, créatif, novateur, responsable tout en respectant des procédures limitatives et soumises à des décisions hiérarchiques supérieures restrictives. On a remplacé, en prétendant le valoriser, le terme de chef à celui de manager. En effet cette terminologie est directement empruntée au vocabulaire anglophone qui rajoute une touche de « modernité » et de « progrès » à son sens initial.
      On voit donc coexister deux notions antagonistes : celle du management qui montre le chemin pour parvenir à un objectif et le chef qui veille au respect des normes qui sont en constante évolution et rarement là ou on les attend.
       Dans ce contexte travailler s’inscrit dans un contexte totalement paradoxal. Il faut en effet être intelligent, autonome, vigilant, créatif, responsable et docile, soumis, obéissant, servile, respectueux. Ces derniers termes, outre qu’ils ne sont pas solubles avec les premier, évoquent le journaliste Michel Droit si « dévoué » à Charles de Gaulle qu’il était surnommé «  le courbé » par le Canard Enchainé

4 avril 2011

Souffrance au travail. Travailler sans les autres

Les pressions exercées sur les individus sont présentées comme inhérentes au contexte économique « incertain ,toujours en mouvement et en constante évolution »  » selon la terminologie convenue.  Bien entendu on constate des symptômes de plus en plus visibles et semble- t-il de moins en moins bien acceptés.  On lit au hasard des publications émanant de cabinets conseil ou de des organisations elles-mêmes, des préconisations ou des actions visant à articuler l’expression du mal être avec la performance « indispensable ». Tout se passe comme si, victimes du contexte économique et de la concurrence que par ailleurs elles défendent, les organisations n’avaient d’autres choix que ceux relatifs à la maximisation des profits par une demande de productivité sans cesse renouvelée.   
Cette pression s’adresse aux opérationnels qui voient leur existence professionnelle ramenée au calcul du profit qu’ils génèrent. On verra comment ce profit, bien nommé par P. Dardot et C.Laval , « le-plus- de-valeur » , échappe à ceux qui l’ont crée et en renforçant l’image que l’organisation se fait d’elle-même , invite les acteurs à une projection  à géométrie variable toujours fuyante et à une identification sans cesse repoussée.
Pour les entreprises marchandes, l’équation est simple il faut faire des bénéfices pour investir se développer et payer des dividendes et pour cela « faire travailler plus pour gagner plus ».
La logique est humainement détestable et génère les différentes pathologies déjà mentionnées car dans le même temps :
« On travaille pour soi comme on vit pour soi.
C'est ce que les sociologues du travail appellent « travailler sans les autres » (Danièle
Linhardt). Mais en raison de la grande porosité entre le travail et la vie personnelle, cette
logique pénètre toute la sphère de la vie : chacun est convié à « vivre sans autrui », selon
l'expression du psychanalyste Jean-Pierre Lebrun. Le sujet, réduit à un corps et à un moi, se
coupe des dimensions symboliques et sociales qui lui donnent un statut, une existence avec et
pour les autres. »  cliquer ici

A cet égard il est intéressant de noter le discours tenu dans les IUT à vocation commerciale. Des travaux de groupes sont proposés aux étudiants qui sont invités à considérer que ces procédés feront intimement partie de leur futur fonctionnement en entreprise et qu’ils travailleront majoritairement en groupe. C’est bien mal les préparer à leur futur.
 En effet nulle part, les salariés ne sont payés pas plus qu’ils ne sont évalués collectivement. C’est à peine si dans certain cas ils perçoivent un intéressement lié aux bénéfices qu’ils ont générés
En revanche des primes à la productivité sont distribuées aux responsables hiérarchiques, aux services de police, aux recteurs d’université ainsi qu’aux proviseurs des lycées en attendant que les enseignant eux-mêmes soient payés selon un type de productivité qui ne dit pas encore son nom 
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C’est une évidence de constater que le collectif de travail à disparu et que l’individualisme s’est renforcé alors même que les salariés n’ont plus que des relations fonctionnelles et ou les relations sociales sont implicitement prohibées.
Alors la pantomime peut se poursuivre. On va endosser des rôles, un discours, des occupations de l’espace. On va nouer des relations strictement professionnelles ou l’autre n’aura d’existence que par son statut fonctionnel.et par ailleurs on va cultiver le secret et la défiance de façon à se protéger des intrusions possibles et si possible s’afficher comme étant un serviteur dévot de la cause concurrentielle ; pondération, expertise, utilisation des circuits d’information, etc sont autant d’outils utilisés s’approcher au plus près des sphères dirigeantes  ou en tout cas du fantasme qui l’accompagne. Pour se faire il sera donc suggéré aux individus d’adopter des méthodes entrepreneuriales qui sont incontournables puisque mondialement adoptées
et sommés de se penser comme entrepreneurs d’eux-mêmes. »  ( Dardot Laval : La nouvelle raison du monde ed La Découverte) en utilisant les outils comptables  la mesure du temps,   les ratios de rentabilité etc
Bien des acteurs de l’organisation tentent en vain d’exporter leur statut à l’extérieur de l’organisation mais c’est peine perdue puisque les existences des uns et des autres ne se maintiennent que dans un consensus implicite à l’intérieur d’un microcosme aux frontières étanches. On pourrait toutefois trouver des parallèles dans la sphère privée ou chacun est invité dès son plus jeune âge de prendre en charge son avenir et à le gérer.
Là ou l’histoire prend un tournant surréaliste c’est lorsque la logique néolibérale touche les services publics qui se perçoivent dès lors comme des organisations nécessairement rentables …on y reviendra

2 avril 2011

Souffrance au travail. L'éléphant accouche d'une souris



         Suite aux divers événements qui surviennent dans les grandes organisations (France Télécom, Renault, Pôle emploi, Areva etc.) des gestes ont été fait, des  plans et autres questionnaires ont été construits, des rapports on été remis aux ministères concernés 
Il est question la plupart du temps de méthodologies pour réduire le stress, le repérer et proposer des actions visant à le prendre en charge.

       Dans un entretien paru dans Le Figaro du 15 octobre 2007 Patrick Légeron

  cliquer ici

déclare : «Je compare le stress à un océan avec beaucoup de vagues. Notre travail est d’éviter que les marins se noient. Cela passe par la réduction de certaines vagues inutiles et aussi par une aide pour faire des marins de meilleurs navigateurs.
Comprenne qui pourra : y a t’il des vagues superflues et à quoi peuvent-elles bien ressembler ? Comment apprendre à des salariés à louvoyer dans les passes étroites de l’organisation ? Comment les fortifier pour affronter le mauvais temps organisationnel ?

         Un consensus s'est établi entre les négociateurs autour d’une terminologie aussi floue que le "stress"  : le risque psychosocial . Cette notion a le mérite de décentrer le véritable débat qui devrait porter sur la souffrance et ses différents modes d’extériorisation, sur les raisons du mal-être, sur la violence du monde du travail qui a toutes les allures d’un combat quotidien sur le caractère pathogène des relations de travail. Marlène Benquet, comme pour souligner la distanciation, titre son article dans Médiapart de 2008  : « Vous ne souffrez pas, vous venez de rencontrer un risque psychosocial »

         Ces éléments ont débouché sur des négociations et des signatures d'accords entre les partenaires le 2 juillet 2008 en donnant au passage une nouvelle définition du stress qui situe le salarié au centre du processus et sous sa responsabilité : « Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face »

           En février 2010 le rapport Lachman Larose Penicaud Moleux à la demande du premier ministre préconise 10 points généraux qui ont le mérite de d’interpeller l’organisation du travail et le management . Malgré leur pertinence, les entreprises ne prendront actes de  ces éléments qu’a minima
Si on reprend la terminologie employée cette notion de risque psychosocial est largement imprécise et peu scientifique.
On a montré le risque statistique de produire du cholestérol en ingérant de grandes quantités de matières grasses. On prouvé le risque statistique de produire une tumeur au poumon si on fume trop de cigarettes. On comprend moins le risque psychosocial encouru dans l'exercice du travail sans que l'incidence du travail et son impact sur la santé ne soient pris au nom des économies , des réductions de dépenses, de la concurrence et de la performance de l’organisation 

         Alors tout se passe donc comme si risque était présent en filigrane dans le processus de travail et que l'individu y était confronté à cause de son stress trop élevé ! 
On pourrait aussi bien dire qu’a cause de la faible résistance au stress le risque encouru est plus grand. C’est naturellement une Lapalissade qui reprend à son compte l’idée que le stress est bon pour l’action à condition qu’il ne dépasse pas un certain plafond. Pour ceux des salariés qui résistent le moins bien, l’adéquation avec l’engagement, la force mentale, la capacité à s’adapter et bientôt la compétence sont questionnés et rapidement dénoncés.

         Sur le terrain, les évènements se précipitent.  France Télécom missionne  le cabinet Technologia qui propose un questionnaire à plus de 100 000 salariés avec 75% de retour. Ce questionnaire reprend le SUMER de 1987 qui pointait déjà la dégradation des relations de travail 
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            Le rapport intermédiaire de Technologia est à peine publié, mettant en avant le maintien de conditions de stress au sein du groupe France Télécom et une défiance vis à vis de la direction, que la nouvelle équipe dirigeante riposte en annonçant la signature de deux accords à minima définissant de nouvelles modalités de travail pour les salariés.
Ce qui avait été présenté comme avancée managériale est loin d’être spectaculaire d’autant que le problème avait déjà été identifiée par l’enquête SUMER ( Surveillance Médicale des Risques) de 1987 et débouchant elle aussi et c’est le moins qu’on puisse dire, sur un « oubli » du dossier