Bienvenue sur ce blog dédié à la souffrance au travail, créé par Gérard Delmas. N'hésitez pas à laisser ou proposer vos commentaires, réactions ou réflexions.

2 avril 2012

souffrance au travail. Comment démotiver

La question de la motivation au travail s'est posée au cours du siècle dernier. Elle se pose encore aujourd'hui sans qu'on s'y intéresse vraiment et sans qu'on en étudie vraiment les implications. La plupart du temps, la motivation est associée à la "bonne volonté" lorsque  on la pointe ou à "la mauvaise volonté " lorsqu'elle fait défaut. Comme généralement on ne sait pas que la motivation correspond à un besoin qu'il s'agit de combler et qui va déclencher des comportements adaptés à la satisfaction de ce besoin, on s'attache plutôt simplement et souvent de façon incantatoire à regretter son absence.
Pourtant deux grands auteurs un peu délaissés et critiqués par les chercheurs en gestion ont  posés les jalons incontournables de la question des besoins et de la motivation et d'une force supérieure à ce qu'on les simplifient. Il s'agit de Mawlow et Herzberg  qui se sont fait connaitre sur ce terrain et dont on a oublié la complexité et la profondeur. Pour un résumé éclairant de leurs recherches on lira avec intérêt  une publication du Centre Lillois d’Analyse et de Recherche sur l’Evolution des Entreprises (UPRESA CNRS 8020) 


Aujourd'hui les éléments de démotivation sont omniprésents dans les organisations et il semble bien que malgré les lois et discours sur la prévention des risques psychosociaux, il faille que les salariés s'en accommodent tant que le seuil de tolérance ne sera atteint. Les personnes les plus attentives à ces manifestations sont les médecins du travail dont le rôle consultatif ne leur permet pas d'infléchir la tendance hausière liée au mal être au travail. Ils sont les premiers à entendre la plainte il sont les premiers à la répercuter mais aussi les premiers à constater que leurs observations et préconisations sont soigneusement enterrées. 
Pourtant il existe des check-up  qui sont utilisés par ces praticiens. A titre d'illustration en voici un qui ne manquera pas d'évoquer un mix des théories de Maslow et Herzberg et une proximité avec des vécus professionnels



LES STRESSEURS PROFESSIONNELS

LIES AU TRAVAIL OU A SON CONTENU


  1. Variabilité et imprévisibilité de la charge de travail
  2. Monotonie- répétitivité
  3. Faible maîtrise du travail- Faible autonomie
  4. Ambiance physiques pénibles
  5. Dangerosité -Visibilité des erreurs possibles
  6. Sous qualification-Sur qualification
LIES AUX RELATIONS INTERPERSONNELLES



  1. Mauvaise communication (hostilité,agressivité, violence)
  2. Mauvaise ambiance de travail entre collègues (manque de solidarité)
  3.                                                       avec les supérieurs (relation d'autorité)
  4. Mauvais soutien (manque d'écoute-mauvaise prise en compte des difficultés ou des contradictions liées au travail)
  5. conflits de rôle 
LIES A L'ENTREPRISE  (culture, management, choix techniques et organisationnels)


  1. Surcharge de travail
  2. Travail en urgence-Travail morcelé
  3. Instabilité organisationnelle-incertitude( restructuration-remaniement des organigrammes ou des fonctions)
  4. Directives : contradictoire , paradoxale
  5. Objectifs : irréalistes, incohérents, flous
  6. Mauvais feed-back sur les résultats
  7. Manque de reconnaissance (contribution, rétribution)
  8. Pas de possibilité d'évolution, absence de reconnaissance


  


26 mars 2012

Souffrance au travail. La gestion du capital humain

Les Carnets RH de l'Express signalent l'existence  à l'Ecole Grenoble de Management d’un enseignement du "capital humain" dont le but est de former des "managers différents". Cette école à été choisie par le ministère du Travail comme école pilote pour le Plan de Santé 2. (cliquer ici)
Cette courte présentation (cliquer ici) soulève trois types de critiques :




- l'enseignement du capital humain :

Introduit en 1961 par Théodore Schultz puis repris par Gary Becker, le capital humain peut, de même que le capital physique ( capital soleil, capital santé, capital capillaire, etc) s’acquérir  par l’éducation par exemple, se préserver et se développer par un entretien permanent de l'individu à travers des formations continues (l'idée de la formation tout au long de sa vie), des entraînements, de la prévention. Très logiquement le détenteur  doit pouvoir produire un bénéfice (les revenus perçus lors de la mise à disposition des compétences). On peut ainsi donc investir dans l'humain pour en tirer des bénéfices (retour sur investissement) à court, moyen ou long terme. 
Parler de capital humain c'est désubjectiver les individus et donc les concevoir comme des objets qu'il s'agit de gérer sur le plan comptable ( de combien d'opérateurs a-t-on besoin ? combien coûtent-ils ?) , logistique ( pour les faire travailler où ? combien de temps ?), et opérationnel ( pour leur faire faire quoi ?)  de telle façon qu'ils soient rentables et dégagent une plus-value. C'est aussi les considérer comme responsables de la gestion de leur capital ( on parle également de portefeuille de compétences) et comme des investisseurs singuliers qui, forts de ce capital, pourront d'autant mieux se positionner  et se vendre sur le marché du travail. 




- Former des managers différents

Sur quoi repose cette différence ? Quelle était donc la formation des précédents managers ?  
Le Centre de Développement Personnel et Managérial de l'école supérieur de commerce de Grenoble indique que "les managers doivent sentir physiquement ce qui se passe dans leurs équipes" On ne précise pas la technique employée mais on peut supposer que le management est invité à se déplacer vers plus d'observation et d'écoute et moins d'interventions directes. Le manager agirait donc plus comme  facilitateur et moins comme prescripteur. L'idée est plutôt intéressante surtout si elle se double d'une conception de l'homme au travail responsable , libre d'agir au mieux de ses intérêts et du collectif. Mais cette perspective viendrait télescoper l'idée du "capital humain" et l'utilisation rentable qui pourrait être faite des opérateurs et du coup opacifierait la nouvelle approche managériale. On n'ose pas penser que, surfant sur la vague de la détection des risques psychosociaux, il ne s'agirait que d'un chiffon rouge permettant de déculpabiliser à l'avance des managers toujours  sur la trajectoire ascendante de la performance et de la rentabilité.




- Ecole choisie par le plan santé du Ministère du travail

On vient de le commenter , le projet pédagogique n’est pas d'une extrême limpidité et on voudrait bien y discerner  une autre façon d'envisager l'organisation des hommes au travail . Le ministère du Travail est de fait  pris en tenaille entre les idées compétitivité, de performance, de rentabilité et de souffrance au travail que le contexte de crise amplifie et qu'il faut bien prendre en compte au moins pour signaler qu'on s'en préoccupe. Dès lors il convient pour lui de  soutenir des initiatives de ce type qui ménagent la chèvre et le choux et permettent d'indiquer aux futurs managers qu'ils seront à la pointe de leur mission dans un contexte de plus en plus contraignant. Le renforcement de l'ego est forcement très attractif...

Pour ce faire les techniques employées sont également susceptibles d'attirer les sympathies puisque cet enseignement , si l'on en juge par les intitulés, ne risque pas de perturber beaucoup  les individus ni de modifier leur point de vue. Bien au contraire les présupposés techniques  vont dans le sens de l'idéologie dominante : connaissance de soi à travers les techniques comportementalistes et cognitives qui se veulent être une démarche strictement scientifique. On y apprend à forger sa personnalité comme on apprendrait à arrêter de fumer . Donc au mieux les intéressés pourront se plonger dans un bain de soutien et apprendre des  techniques hautement discutables  lorsqu'elles ne se limitent pas au seul champ de la neurologie.
  On ne peut qu'être fasciné devant une telle entreprise, non pas que "Théatre et management" ou "équilibre et performance" ne soient pas des propositions dont l’intérêt immédiat réside avant tout dans leur caractère assez ludique et désuet ( relevant de la période des 30 glorieuses) mais qu'elles sont porteuses, à n'en pas douter, d'un ensemble de règles de comportement que sous entend les méthodes comportementalistes et cognitives, apprendre à écouter à percevoir, à réagir, à communiquer sans que le manager et l'interlocuteur dans leur singularité ne se trouvent interpellés. Le fond du problème managérial restera le même : fonctionner avec des individus qui ne perçoivent pas l'utilité d'une concurrence, d'un dépassement de soi, d'une compétition, d'une logique client fournisseur dans la même organisation mais qui poursuivent plus sûrement des objectifs collectifs et individuels implicites souvent très éloignés de ceux de leur organisation d'appartenance . Au total les étudiants de cette école  qui sortiront de ce formatage  auront acquis une carapace de certitudes ou pour l'exprimer autrement auront renforcé leurs défenses moïques .



23 mars 2012

Souffrance au travail. Conférence de Christophe Dejours


Souffrance au travail par Christophe Dejours par bressetv

Christophe Dejours est psychiatre et psychanalyste.
 Il est titulaire de la chaire "psychanalyse, santé travail" au CNAM.
Il dirige le laboratoire de psychologie du travail et de l'action.
Cette conférence s'est déroulée dans le cadre des activités du cercle Condorcet de Bourg en Bresse.

Plan de la conférence


Souffrance au travail: enjeux et politique de santé 
publique 
• travail qui construit ou travail qui détruit : analyse de la souffrance
 au travail
• les pathologies liées au travail contemporain
• la psychodynamique du travail : un outil de réflexion et d’action.

8 mars 2012

souffrance au travail.Télécom , La Poste et la Sécurité Sociale même combat !

"J'assume mes responsabilités. C'est un échec pour moi. C'est un échec du directeur" .  La direction de la Caisse d'Assurance Maladie de l’Hérault réagit au suicide d'un employé en démentant  que cet acte avait eu pour cause une "mise au placard" .

Dans le même temps et sans doute dans un souci de transparence  le reste des employés s'est vu interdire toute communication avec la presse. Gageons que pour contribuer à "assumer ses responsabilités" le directeur va préalablement tenter de se défausser et de minimiser la responsabilité de son management  en évoquant l'état dépressif chronique de cet homme de 51 ans.

La même journée, un jeune cadre de la Poste, également dépressif sans doute, se suicidait également sur son lieu de travail. Les observateurs qui penseraient que les regroupement et autres restructurations qui sont de mise afin de réaliser des économies d'échelle au détriment des salariés ne seraient que de mauvaises langues.





Cette propension à mettre fin à ses jours sur son lieu de travail est un acte inquiétant et en tout cas ciblé. C'est un message adressé dans le désespoir et dans l'impasse à ceux qui sont considérés comme responsable et au-delà , à l'organisation démente qui à gommé l'effet structurant et intégrateur social du travail au bénéfice de la performance considérée comme la  valeur supérieure.

Quelle va être la réponse de l'organisation ? Comme à l'accoutumée, elle va passer à coté d'une prise en charge efficace en développant un arsenal de dispositifs tous plus inefficaces et inappropriés les uns que les autres. Dans le tiercé gagnant on trouve en premier lieu :

       - la cellule de soutien psychologique. Ce dispositif employé après des accidents graves , des catastrophes vise à palier les décompensations éventuelles débouchant le cas échéant sur des pathologies psychologiques. Dans le cas d'espèce, outre le caractère prophylactique évident, on peut imaginer qu'à cette occasion on va "relancer la machine du travail" et peut être permettre d'oublier le drame qui pourrait freiner l’énergie.

        - le numéro vert. Comme le centre d'appel d'un SAV, les intéressés peuvent demander une aide individuelle en direction d'un professionnel de l'écoute censé les "regonfler"; On a déjà eu l'occasion de dénoncer l'absence de déontologie de ces professionnels et l'illusion dont ils se bercent de pouvoir amener les salariés à supporter ce que précisément certains d'entre eux n'ont pas  réussi à endurer. Ce traitement de la souffrance vise sans le nommer , un renforcement des défenses et le retour à une adaptation sans cesse plus performante.

        - les formations à la reconnaissance du mal être et du stress pour les managers. Comment reconnaître le malaise, comment le prendre en charge, quels sont les signaux précurseurs de la décompensation, etc. ? Les dispositifs de formation qui permettent de repérer les dysfonctionnements individuels font florès et se veulent tous plus efficaces les uns que les autres. Il y a certes  des procédures qui permettent de repérer les individus fragilisés mais comme la mesure du stress n'a pas encore été inventée il suffirait de s'en tenir à une simple observation pour peu que celle ci ne s'adosse pas à une évaluation de la performance.
Ces trois propositions mériteraient d'être commentées d'avantage mais pour être simple disons  qu'elles ne sont absolument pas de nature à modifier quoique ce soit aux motifs qui causent le désagrément puis la souffrance. Bien pire, ces propositions sont très exactement ce que les systémiciens appellent les changements de premier ordre  qui ne changent rien  au détriment d'un   changement de deuxième ordre qui vise une modification en profondeur  de logique et des règles d'un système considéré ( cf Watzlawick Une logique de la communication") On ne précisera jamais assez ce n'est pas le travail qui est en cause mais ses conditions d'exercice sous la houlette de rapports interpersonnels autoritaires dans un contexte généralisé d'exigences sans cesse renforcées.



2 janvier 2012

Souffrance au travail. Les mots du management

   On l’oublie bien souvent mais les structures organisationnelles sont calquées, avec des variantes modernistes, sur des modèles militaires et religieux.


     Le modèle militaire produit des découpages de responsabilités, des stratifications de commandement jusqu’à l’absurde dans certaines organisations du service public ou il existe une quasi inversion des structures pyramidales, une armée mexicaine faite de nombreux encadrants pour un nombre ridiculement faible d’encadrés. Le modèle militaire produit naturellement sa propre langue, ses propres expressions, qui sont celles des guerres et conflits et sur lesquels il conviendra de revenir.
     Le modèle religieux introduit, outre le découpage des responsabilités, des croyances, des rituels, la notion de faute, de culpabilité, de contrition (par l’entretien annuel d’évaluation) et le spectre de l’immanence au cas où le salarié dérogerait à la croyance de la toute puissance du chef suprême à la tête de l’organisation. On verra que là aussi les usages langagiers sont vivaces
     Dans un verbatim succinct repéré dans une organisation du service public on peut s’intéresser tout d’abord à l’injonction :

 « Je ne peux pas vous autoriser à dire ça ».

     A quel pouvoir se réfère-t-on qui permettrait ou interdirait la parole ? Quelle pensée ne pourrait être verbalisée ? De quelle obéissance s’agit-il ?
     Quoiqu’il en soit cette saillie montre à quel point le ressenti peut être censuré et particulièrement celui qui ne s’encombre pas de fioritures de litotes et de paraphrases. On « autorisera » le doute mesuré, le questionnement feutré mais en aucun cas le discours direct qui pourrait être suspecté de porter atteinte à l’image de celui à qui il est destiné. Le manager qui prononce cet ukase s’érige comme garant de l’orthodoxie et chien de garde des débordements. Bien entendu en faisant cela et en prétendant ainsi tuer dans l’œuf des conflits, le manager garde chiourme espère par son zèle ressembler un jour à ceux qu’il craint.
« On va travailler à partir de la version martyr »

     Le martyr dans la terminologie religieuse est bien celui qui consent à se faire tuer plutôt que d’abjurer sa foi. C’est le pantin introduit dans les véhicules soumis aux crashs tests. Dans la terminologie managériale, il s’agit du texte, du travail que l’on va pouvoir tordre, décortiquer, amputer afin de faire émerger (renaitre tel le phénix ?) un travail auréolé d’avoir survécu à l’épreuve. On peut légitimement se poser la question des raisons d’une telle terminologie. Il y a certes un effet de dramatisation mais aussi de respect. On admirera d’autant plus ce qui a résisté aux fers, à l’huile bouillante et à la roue.


« Cette question est sans sujet »

     On ne comprend pas cette novlangue qui rappelons le est, pour Orwell, une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute formulation de critique.
     C’est donc sans sujet de discussion, de confrontation voire de discorde qu’il faut comprendre cette formulation minimale. Il n’y a pas à revenir sur ce sujet, c’est entendu, compris, indiscutable… Dans le même temps, cette terminologie situe le locuteur comme un expert de la finitude face à un public qui n’aurait pas encore compris cette expertise et qui devrait l’admirer.


« Vous avez du potentiel »

      Le potentiel, indique que le locuteur considère que l’action dénotée par un verbe est susceptible de se réaliser.
Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il a du potentiel de quoi veut-on parler ? Qu’est ce qui est susceptible de se réaliser ? Dans une organisation donnée, quelle est l’intention ou le sens implicite ? Il est probable que les locuteurs eux-mêmes n’en sachent strictement rien mais employer un concept généralement attribué à la physique (sous forme de différence de potentiel qui permet de créer un courant électrique) renforce le caractère scientifique de la déclaration. Le potentiel pour quoi faire ? Décider, créer, produire, obéir, se soumettre… ?

     A trop vouloir montrer son infaillibilité, le langage managérial par son approximation, se ridiculise !
Le dernier exemple relève encore plus clairement des emprunts à d’autres champs très éloignés de l’organisation.


« Il ne faut pas rater la fenêtre de tir »

      Dans la réalité il s’agit naturellement de l’horaire permettant de lancer des porteurs de satellites pour qu’ils se positionnent à l’orbite préalablement choisie. 
 
     Le manager, qui dans une réunion à la naïveté de ce genre de déclaration, s’imagine sans doute responsable d’un outillage représentant une fortune, devant un pupitre informatique d’une salle de contrôle d'une aire de lancement de fusées alors qu’il s’agit sans doute plus prosaïquement ne pas "rater son coup", ce qui pour le service public qui nous intéresse, n’aurait d'ailleurs qu’un impact extrêmement limité sur le service qu'il est supposé rendre à ce même public.
      On le voit, les emprunts liés à la puissance guerrière, à l’ordre, à la volonté supérieure, tentent de faire coïncider le moi managérial avec le moi idéal du manager et à son narcissisme, au risque de créer une hypertrophie dommageable : le syndrome de la grosse tête.


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