Bienvenue sur ce blog dédié à la souffrance au travail, créé par Gérard Delmas. N'hésitez pas à laisser ou proposer vos commentaires, réactions ou réflexions.

26 mars 2012

Souffrance au travail. La gestion du capital humain

Les Carnets RH de l'Express signalent l'existence  à l'Ecole Grenoble de Management d’un enseignement du "capital humain" dont le but est de former des "managers différents". Cette école à été choisie par le ministère du Travail comme école pilote pour le Plan de Santé 2. (cliquer ici)
Cette courte présentation (cliquer ici) soulève trois types de critiques :




- l'enseignement du capital humain :

Introduit en 1961 par Théodore Schultz puis repris par Gary Becker, le capital humain peut, de même que le capital physique ( capital soleil, capital santé, capital capillaire, etc) s’acquérir  par l’éducation par exemple, se préserver et se développer par un entretien permanent de l'individu à travers des formations continues (l'idée de la formation tout au long de sa vie), des entraînements, de la prévention. Très logiquement le détenteur  doit pouvoir produire un bénéfice (les revenus perçus lors de la mise à disposition des compétences). On peut ainsi donc investir dans l'humain pour en tirer des bénéfices (retour sur investissement) à court, moyen ou long terme. 
Parler de capital humain c'est désubjectiver les individus et donc les concevoir comme des objets qu'il s'agit de gérer sur le plan comptable ( de combien d'opérateurs a-t-on besoin ? combien coûtent-ils ?) , logistique ( pour les faire travailler où ? combien de temps ?), et opérationnel ( pour leur faire faire quoi ?)  de telle façon qu'ils soient rentables et dégagent une plus-value. C'est aussi les considérer comme responsables de la gestion de leur capital ( on parle également de portefeuille de compétences) et comme des investisseurs singuliers qui, forts de ce capital, pourront d'autant mieux se positionner  et se vendre sur le marché du travail. 




- Former des managers différents

Sur quoi repose cette différence ? Quelle était donc la formation des précédents managers ?  
Le Centre de Développement Personnel et Managérial de l'école supérieur de commerce de Grenoble indique que "les managers doivent sentir physiquement ce qui se passe dans leurs équipes" On ne précise pas la technique employée mais on peut supposer que le management est invité à se déplacer vers plus d'observation et d'écoute et moins d'interventions directes. Le manager agirait donc plus comme  facilitateur et moins comme prescripteur. L'idée est plutôt intéressante surtout si elle se double d'une conception de l'homme au travail responsable , libre d'agir au mieux de ses intérêts et du collectif. Mais cette perspective viendrait télescoper l'idée du "capital humain" et l'utilisation rentable qui pourrait être faite des opérateurs et du coup opacifierait la nouvelle approche managériale. On n'ose pas penser que, surfant sur la vague de la détection des risques psychosociaux, il ne s'agirait que d'un chiffon rouge permettant de déculpabiliser à l'avance des managers toujours  sur la trajectoire ascendante de la performance et de la rentabilité.




- Ecole choisie par le plan santé du Ministère du travail

On vient de le commenter , le projet pédagogique n’est pas d'une extrême limpidité et on voudrait bien y discerner  une autre façon d'envisager l'organisation des hommes au travail . Le ministère du Travail est de fait  pris en tenaille entre les idées compétitivité, de performance, de rentabilité et de souffrance au travail que le contexte de crise amplifie et qu'il faut bien prendre en compte au moins pour signaler qu'on s'en préoccupe. Dès lors il convient pour lui de  soutenir des initiatives de ce type qui ménagent la chèvre et le choux et permettent d'indiquer aux futurs managers qu'ils seront à la pointe de leur mission dans un contexte de plus en plus contraignant. Le renforcement de l'ego est forcement très attractif...

Pour ce faire les techniques employées sont également susceptibles d'attirer les sympathies puisque cet enseignement , si l'on en juge par les intitulés, ne risque pas de perturber beaucoup  les individus ni de modifier leur point de vue. Bien au contraire les présupposés techniques  vont dans le sens de l'idéologie dominante : connaissance de soi à travers les techniques comportementalistes et cognitives qui se veulent être une démarche strictement scientifique. On y apprend à forger sa personnalité comme on apprendrait à arrêter de fumer . Donc au mieux les intéressés pourront se plonger dans un bain de soutien et apprendre des  techniques hautement discutables  lorsqu'elles ne se limitent pas au seul champ de la neurologie.
  On ne peut qu'être fasciné devant une telle entreprise, non pas que "Théatre et management" ou "équilibre et performance" ne soient pas des propositions dont l’intérêt immédiat réside avant tout dans leur caractère assez ludique et désuet ( relevant de la période des 30 glorieuses) mais qu'elles sont porteuses, à n'en pas douter, d'un ensemble de règles de comportement que sous entend les méthodes comportementalistes et cognitives, apprendre à écouter à percevoir, à réagir, à communiquer sans que le manager et l'interlocuteur dans leur singularité ne se trouvent interpellés. Le fond du problème managérial restera le même : fonctionner avec des individus qui ne perçoivent pas l'utilité d'une concurrence, d'un dépassement de soi, d'une compétition, d'une logique client fournisseur dans la même organisation mais qui poursuivent plus sûrement des objectifs collectifs et individuels implicites souvent très éloignés de ceux de leur organisation d'appartenance . Au total les étudiants de cette école  qui sortiront de ce formatage  auront acquis une carapace de certitudes ou pour l'exprimer autrement auront renforcé leurs défenses moïques .



23 mars 2012

Souffrance au travail. Conférence de Christophe Dejours


Souffrance au travail par Christophe Dejours par bressetv

Christophe Dejours est psychiatre et psychanalyste.
 Il est titulaire de la chaire "psychanalyse, santé travail" au CNAM.
Il dirige le laboratoire de psychologie du travail et de l'action.
Cette conférence s'est déroulée dans le cadre des activités du cercle Condorcet de Bourg en Bresse.

Plan de la conférence


Souffrance au travail: enjeux et politique de santé 
publique 
• travail qui construit ou travail qui détruit : analyse de la souffrance
 au travail
• les pathologies liées au travail contemporain
• la psychodynamique du travail : un outil de réflexion et d’action.

8 mars 2012

souffrance au travail.Télécom , La Poste et la Sécurité Sociale même combat !

"J'assume mes responsabilités. C'est un échec pour moi. C'est un échec du directeur" .  La direction de la Caisse d'Assurance Maladie de l’Hérault réagit au suicide d'un employé en démentant  que cet acte avait eu pour cause une "mise au placard" .

Dans le même temps et sans doute dans un souci de transparence  le reste des employés s'est vu interdire toute communication avec la presse. Gageons que pour contribuer à "assumer ses responsabilités" le directeur va préalablement tenter de se défausser et de minimiser la responsabilité de son management  en évoquant l'état dépressif chronique de cet homme de 51 ans.

La même journée, un jeune cadre de la Poste, également dépressif sans doute, se suicidait également sur son lieu de travail. Les observateurs qui penseraient que les regroupement et autres restructurations qui sont de mise afin de réaliser des économies d'échelle au détriment des salariés ne seraient que de mauvaises langues.





Cette propension à mettre fin à ses jours sur son lieu de travail est un acte inquiétant et en tout cas ciblé. C'est un message adressé dans le désespoir et dans l'impasse à ceux qui sont considérés comme responsable et au-delà , à l'organisation démente qui à gommé l'effet structurant et intégrateur social du travail au bénéfice de la performance considérée comme la  valeur supérieure.

Quelle va être la réponse de l'organisation ? Comme à l'accoutumée, elle va passer à coté d'une prise en charge efficace en développant un arsenal de dispositifs tous plus inefficaces et inappropriés les uns que les autres. Dans le tiercé gagnant on trouve en premier lieu :

       - la cellule de soutien psychologique. Ce dispositif employé après des accidents graves , des catastrophes vise à palier les décompensations éventuelles débouchant le cas échéant sur des pathologies psychologiques. Dans le cas d'espèce, outre le caractère prophylactique évident, on peut imaginer qu'à cette occasion on va "relancer la machine du travail" et peut être permettre d'oublier le drame qui pourrait freiner l’énergie.

        - le numéro vert. Comme le centre d'appel d'un SAV, les intéressés peuvent demander une aide individuelle en direction d'un professionnel de l'écoute censé les "regonfler"; On a déjà eu l'occasion de dénoncer l'absence de déontologie de ces professionnels et l'illusion dont ils se bercent de pouvoir amener les salariés à supporter ce que précisément certains d'entre eux n'ont pas  réussi à endurer. Ce traitement de la souffrance vise sans le nommer , un renforcement des défenses et le retour à une adaptation sans cesse plus performante.

        - les formations à la reconnaissance du mal être et du stress pour les managers. Comment reconnaître le malaise, comment le prendre en charge, quels sont les signaux précurseurs de la décompensation, etc. ? Les dispositifs de formation qui permettent de repérer les dysfonctionnements individuels font florès et se veulent tous plus efficaces les uns que les autres. Il y a certes  des procédures qui permettent de repérer les individus fragilisés mais comme la mesure du stress n'a pas encore été inventée il suffirait de s'en tenir à une simple observation pour peu que celle ci ne s'adosse pas à une évaluation de la performance.
Ces trois propositions mériteraient d'être commentées d'avantage mais pour être simple disons  qu'elles ne sont absolument pas de nature à modifier quoique ce soit aux motifs qui causent le désagrément puis la souffrance. Bien pire, ces propositions sont très exactement ce que les systémiciens appellent les changements de premier ordre  qui ne changent rien  au détriment d'un   changement de deuxième ordre qui vise une modification en profondeur  de logique et des règles d'un système considéré ( cf Watzlawick Une logique de la communication") On ne précisera jamais assez ce n'est pas le travail qui est en cause mais ses conditions d'exercice sous la houlette de rapports interpersonnels autoritaires dans un contexte généralisé d'exigences sans cesse renforcées.