Les Carnets RH de l'Express signalent l'existence à l'Ecole Grenoble de Management d’un enseignement du "capital humain" dont le but est de former des "managers différents". Cette école à été choisie par le ministère du Travail comme école pilote pour le Plan de Santé 2. (cliquer ici)
Cette courte présentation (cliquer ici) soulève trois types de critiques :
- l'enseignement du capital humain :
Introduit en 1961 par Théodore Schultz puis repris par Gary Becker, le capital humain peut, de même que le capital physique ( capital soleil, capital santé, capital capillaire, etc) s’acquérir par l’éducation par exemple, se préserver et se développer par un entretien permanent de l'individu à travers des formations continues (l'idée de la formation tout au long de sa vie), des entraînements, de la prévention. Très logiquement le détenteur doit pouvoir produire un bénéfice (les revenus perçus lors de la mise à disposition des compétences). On peut ainsi donc investir dans l'humain pour en tirer des bénéfices (retour sur investissement) à court, moyen ou long terme.
Parler de capital humain c'est désubjectiver les individus et donc les concevoir comme des objets qu'il s'agit de gérer sur le plan comptable ( de combien d'opérateurs a-t-on besoin ? combien coûtent-ils ?) , logistique ( pour les faire travailler où ? combien de temps ?), et opérationnel ( pour leur faire faire quoi ?) de telle façon qu'ils soient rentables et dégagent une plus-value. C'est aussi les considérer comme responsables de la gestion de leur capital ( on parle également de portefeuille de compétences) et comme des investisseurs singuliers qui, forts de ce capital, pourront d'autant mieux se positionner et se vendre sur le marché du travail.
- Former des managers différents :
Sur quoi repose cette différence ? Quelle était donc la formation des précédents managers ?
Le Centre de Développement Personnel et Managérial de l'école supérieur de commerce de Grenoble indique que "les managers doivent sentir physiquement ce qui se passe dans leurs équipes" On ne précise pas la technique employée mais on peut supposer que le management est invité à se déplacer vers plus d'observation et d'écoute et moins d'interventions directes. Le manager agirait donc plus comme facilitateur et moins comme prescripteur. L'idée est plutôt intéressante surtout si elle se double d'une conception de l'homme au travail responsable , libre d'agir au mieux de ses intérêts et du collectif. Mais cette perspective viendrait télescoper l'idée du "capital humain" et l'utilisation rentable qui pourrait être faite des opérateurs et du coup opacifierait la nouvelle approche managériale. On n'ose pas penser que, surfant sur la vague de la détection des risques psychosociaux, il ne s'agirait que d'un chiffon rouge permettant de déculpabiliser à l'avance des managers toujours sur la trajectoire ascendante de la performance et de la rentabilité.
- Ecole choisie par le plan santé du Ministère du travail
On vient de le commenter , le projet pédagogique n’est pas d'une extrême limpidité et on voudrait bien y discerner une autre façon d'envisager l'organisation des hommes au travail . Le ministère du Travail est de fait pris en tenaille entre les idées compétitivité, de performance, de rentabilité et de souffrance au travail que le contexte de crise amplifie et qu'il faut bien prendre en compte au moins pour signaler qu'on s'en préoccupe. Dès lors il convient pour lui de soutenir des initiatives de ce type qui ménagent la chèvre et le choux et permettent d'indiquer aux futurs managers qu'ils seront à la pointe de leur mission dans un contexte de plus en plus contraignant. Le renforcement de l'ego est forcement très attractif...
Pour ce faire les techniques employées sont également susceptibles d'attirer les sympathies puisque cet enseignement , si l'on en juge par les intitulés, ne risque pas de perturber beaucoup les individus ni de modifier leur point de vue. Bien au contraire les présupposés techniques vont dans le sens de l'idéologie dominante : connaissance de soi à travers les techniques comportementalistes et cognitives qui se veulent être une démarche strictement scientifique. On y apprend à forger sa personnalité comme on apprendrait à arrêter de fumer . Donc au mieux les intéressés pourront se plonger dans un bain de soutien et apprendre des techniques hautement discutables lorsqu'elles ne se limitent pas au seul champ de la neurologie.
On ne peut qu'être fasciné devant une telle entreprise, non pas que "Théatre et management" ou "équilibre et performance" ne soient pas des propositions dont l’intérêt immédiat réside avant tout dans leur caractère assez ludique et désuet ( relevant de la période des 30 glorieuses) mais qu'elles sont porteuses, à n'en pas douter, d'un ensemble de règles de comportement que sous entend les méthodes comportementalistes et cognitives, apprendre à écouter à percevoir, à réagir, à communiquer sans que le manager et l'interlocuteur dans leur singularité ne se trouvent interpellés. Le fond du problème managérial restera le même : fonctionner avec des individus qui ne perçoivent pas l'utilité d'une concurrence, d'un dépassement de soi, d'une compétition, d'une logique client fournisseur dans la même organisation mais qui poursuivent plus sûrement des objectifs collectifs et individuels implicites souvent très éloignés de ceux de leur organisation d'appartenance . Au total les étudiants de cette école qui sortiront de ce formatage auront acquis une carapace de certitudes ou pour l'exprimer autrement auront renforcé leurs défenses moïques .